« Mes collègues Africains rendent hommages aux morts Français. Mais les morts de chez nous, ils s’en foutent. Vous faites honte à l’Afrique…». C’est en ces termes que le Président Camerounais Paul Biya s’est exprimé, pour fustiger la participation de six Chefs d’Etat africains à ce qu’on a appelé « Marche républicaine » en France. Marche qui visait à défendre la liberté de presse en France, à dire non au terrorisme. Pour le président Paul Biya, ceux qui se voient obligés d’aller marcher en France (ces présidents marcheurs), n’ont jamais eu l’idée de mener des actions dans leur pays ou plutôt en Afrique, pour dire non aux exactions qui pourtant sévissent sur le continent. Il trouve qu’ils n’ont jamais manifesté un soutien quelconque à l’égard du Cameroun et du Nigéria qui ont pourtant perdu plus de 10.000 personnes depuis 10 ans, à cause de la fureur du groupe Boko Haram. On marche pour une dizaine de Blancs alors que à Baga, Boko Haram en a fini avec près de 2 000 personnes. Et pourtant, cela n’émeut personne, y compris les pays occidentaux. D’ailleurs, allez-y savoir pourquoi les Etats-Unis n’ont daigné se joindre à cette mascarade de marche, même s’ils ont fait leur mea culpa en s’excusant.
Marcher pour la liberté d’expression, pour ce qu’on est, etc. et pourtant, dans les pays de tous ceux qui ont participé à cette marche, les libertés démocratiques sont pour la plupart du temps bafouées. La liberté de presse, n’en parlons même pas. Tout simplement, ces dirigeants veulent que tous les médias soient à leur merci et qu’il n’y ait aucun autre son de cloche en dehors de celui du pouvoir.
Combien sont-ils, ces présidents qui se réjouissent chaque fois qu’un malheur frappe des journalistes de leur pays? Mieux, combien sont-ils, ces régimes qui se débarrassent des journaux et autres médias non acquis à leur cause? Le problème est si profond que Biya a raison de parler de « honte pour l’Afrique » car il convient de bien balayer sa cour avant d’aller faire celle des autres. De 2006 à nos jours au Bénin, le monde des médias n’a pas connu de répit, avec des sanctions abusives et irraisonnées des différentes mandatures de la HAAC. Ces Intrigues ont pour but d’en finir avec les plus teigneux qui refusent de se mettre au pas. Le ras-le-bol est total !
Il suffit de prendre en compte les classements de Reporters sans frontières (Rsf) des six pays concernés, pour comprendre que le bâillonnement de la liberté de presse a encore de beaux jours devant lui. Et ce n’est pas pour rien que le présentateur Ozias Sounouvou est fondu en coup de gueule ce lundi 12 Janvier 2015 sur l'Ortb, en plein JT à 23h30 : « Voilà le sens de l'engagement de Boni Yayi Charlie pour la liberté de presse à l'international! Comme on aurait aimé aussi que le Chef de l’État soit Charlie ORTB! Pour la liberté de presse sur le service public audiovisuel du Bénin! Liberté de presse qui rime avec ouverture des antennes de la télévision nationale aux vrais débats contradictoires sur les grandes questions politiques et autres qui engagent le présent et l'avenir de la Nation. Monsieur le Président, sauvez la liberté des journalistes de presse à l'ORTB, précieux héritage de la Conférence Nationale et entrez dans l'histoire. Pardon pour cette impertinence professionnelle, clause de conscience et devoir républicain obligent! Monsieur le Président, vous êtes notre recours rendu obligé après trois pétitions infructueuses des journalistes de l'ORTB pour le retour de la liberté de presse sur le service public. Nous voulons juste faire notre métier et prendre notre part à la construction de la République. Vive le Service Public de l'Information! Vive la République! »
L’audace, c’est aussi ça ! Il y a un prix à payer car l’audacieux aura à se justifier si on ne le fout pas au garage comme il en a été pour certains qui continuent d’y séjourner à ce jour. A moins que la marche du dimanche dernier ait attendri les cœurs en vue d’une plus juste liberté de la presse, une liberté débarrassée de la Hache de la Haac, prête à fendre le crâne de n’importe quel média.
Le peuple a besoin d’une véritable liberté de presse. Il n’a pas besoin de chef d’Etat qui, plus de 50 ans après les indépendances, jouent aux grands enfants, bras croisés devant leur mère. On ne peut continuer à martyriser son peuple et aller marcher à l’extérieur pour plus de liberté d’expression, etc. En définitive, à Yayi d’entrer dans l’histoire en changeant les choses dans le domaine des médias béninois même si la gestion du pouvoir ne se partage pas.
Akkilou YACOUBOU
(Le Canard de la Semaine, 15 janvier 2015)